POÈME SUR UNE RUINE ANNONCÉE a démarré avec un concept à moitié clair : le monde est présentement assez merdique –
écrivons quelques poèmes sur comment nous ferions, si nous pouvions tout refaire.
Nos élans conceptuels étaient de nature poétique ; ils demandaient à quoi ressemblerait le monde en l’absence de concepts préétablis comme les frontières et les institutions, lesquelles font présentement l’objet de critiques dans la plupart des publications et médias d’art et de réflexion. Nous avons également pris en considération l’idée que notre avenir (nos avenirs) exigerait davantage de reconstruction que de démantèlement.
Pour augmenter l’accent porté sur la construction du monde et en préparation de nos avenirs et de nos futurismes respectifs, nous avons demandé à nos artistes – Arielle Twist, Camila Salcedo, Camille Rojas et Madeleine Scott – de créer en duos, sans égard à ce que cela représenterait pour elles et leurs pratiques. Elles (Arielle et Camila, Madeleine et Camille) ont également documenté leurs processus de collaboration et de production – une façon d’enraciner les œuvres achevées dans une histoire qui leur serait propre.
Le concept original s’est rapidement déployé vers l’extérieur et vers l’intérieur après discussions avec les artistes sur ce qu’elles pensaient de leur cadre de travail. Elles avaient des points de vue différents sur ce que signifie recommencer et combien il est productif de tout reconstruire et réinventer, sans s’arrêter pour faire d’abord l’inventaire de ce qui s’est produit auparavant. Un obstacle est devenu évident : Qu’est-ce que réinventer ? Qu’arrive-t-il lorsque nous avons besoin de réinventer notre manière de penser l’invention ? Que suggère ce « re » pour celles d’entre nous qui ont été « re »-tirées du canon, « re »-tenues de revendiquer une « re »-connaissance justifiée et à qui l’optimisme esthétique a été « re »-fusé ? En ce sens, réinventer un avenir signifie faire avancer l’autre. C’est suggérer qu’il n’y a pas eu de passé, pas de lignée ancestrale profonde et richement accomplie ayant mené à ce moment. C’est le contraire de l’affirmation : une acceptation de l’effacement de l’histoire coloniale. Par la suite, nous n’avons plus ressenti le besoin de nous accrocher aux idées de reconstruction que nous avions considérées au début.
La ruine annoncée semble vraie lorsqu’un chemin vers une forme de sérénité commence en écrivant une lettre d’amour à la place où vous avez vu le jour et en l’appelant votre patrie, comme pour suggérer une distance d’avec elle. Réalisant que certaines d’entre nous ont la chance de connaître tendrement leurs patries, sans les pleurer, alors que d’autres pensent à la patrie en termes à la fois de « alors » et de « maintenant », quand le « maintenant » est souvent un endroit effrayant, litigieux et incertain.
S’élever semble aller de pair avec s’enraciner. Que cela signifie cultiver l’amour, un foyer, ou puiser dans la force et les connaissances de prédécesseurs ; toutes les œuvres que nous avons créées sont d’une certaine manière entièrement enracinées dans le passé. Cela a du sens puisque la guérison doit venir de quelque part. Il est évident que, pour construire un avenir, nous avons besoin d’un fondement sur lequel nous appuyer. Nous ne pouvons pas reconstruire comme si l’histoire ne nous avait pas menées là où nous sommes maintenant. Nous écrivons donc des poèmes, nous exprimons de l’amour, nous respectons le passé et honorons celles qui nous ont précédées. Nous nous armons même de nos précieuses histoires, pour être capables de danser frénétiquement dans les bras de l’avenir et de confronter la précarité de la technologie et de l’information, la force toxique des egos, la maladie de l’apathie.
Nous construisons à partir des mondes à partir desquels on n’a jamais cessé de reconstruire, en raison de l’attention (passée) et de l’amour (passé) et de la survie (passée) et du traumatisme (passé) et de la guérison (en cours).