Le 8 septembre dernier, Payadowa Boukpessi, éternel ministre depuis 1991, a finalement passé le témoin au Colonel Hodabalo Awaté, au ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et du Développement du territoire. Ce mini remaniement marque le départ, du moins pour l’instant, de l’un des acteurs qui a résisté à toutes les tempêtes.
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Piqûre de rappel pour les plus jeunes. Au départ, Payadowa Boukpessi était à la conférence nationale souveraine sous le manteau d’opposant à Gnassingbé Eyadema avec son parti de l’époque UTJ (Union togolaise pour la justice) avec son ami Innocent Sogoyou. Au sortir de la CNS, il devient ministre du Commerce, des Transports, de l’Industrie et des Sociétés d’Etat. C’est d’ailleurs lui qui avait pris une décision à l’époque, interdisant l’avion présidentiel à Gnassingbé Eyadema provoquant le premier couac avec les militaires. Plus tard, il rejoindra avec bagages le camp Gnassingbé Eyadema après les tribulations de la transition de Joseph Kokou Koffigoh.
Et il est devenu depuis 30 ans un baron, la branche radicale du parti au pouvoir, alternant les postes de ministre, de député, de président du conseil d’administration de plusieurs sociétés, avec une courte période de traversée du désert en 2007 après son limogeage du ministère de l’Economie et des Finances. Sa longue carrière et ses nombreuses responsabilités lui ont permis de constituer une fortune et des biens un peu partout, notamment sa résidence à Franconville dans le Val-d’Oise en région île-de-France. C’est en somme un homme très heureux, à l’abri du besoin même si dans sa localité de naissance à Adjengré, dans la Préfecture de Sotouboua, les populations manquent de tout y compris les sérums antivenimeux pour sauver les victimes de morsure de serpent.
EPAM : la vache à lait de Payadowa Boukpessi et ses réseaux mafieux
Payadowa Boukpessi aura passé en tout et pour tout 8 ans, 2 mois et 11 jours au ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales (entre-temps mué en ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et du Développement du territoire) de 28 juin 2015 au 8 septembre 2023 et a fini ministre d’Etat. En 8 ans, il a réussi à mettre sur pied un système de corruption rampant, de népotisme généralisé sur fond de tribalisme ambiant et répugnant dans certains secteurs de l’administration. L’EPAM (Etablissement public autonome pour l’exploitation des marchés) est la structure que le sieur Payadowa Boukpessi a gérée pendant 8 ans moins qu’une épicerie de village. L’EPAM avait la gestion de la plupart des marchés de la Ville de Lomé.
Dans la nuit du 11 au 12 janvier 2013, un incendie criminel ravage le grand marché de Lomé, mettant à genoux jusqu’à ce jour la plupart des commerçantes du Togo. En 2018, la Directrice de l’EPAM, Mme AYELEGAN est admise à la retraite. Pendant que les femmes du marché s’organisaient pour plaider la nomination d’une autre personne auprès de l’Etat, Payadowa Boukpessi profita pour nommer à la tête de l’EPAM sa sœur, commissaire de police Potcholi-Kadja Somialo. Face aux femmes qui se sont rendues dans son bureau pour protester, Payadowa Boukpessi leur rétorqua que c’est une solution provisoire voulue par Faure Gnassingbé, le temps de trouver un Directeur général. Et depuis, le provisoire est devenu définitif avec son lot de détournement, de gabegie, de népotisme sur fond de tribalisme, de règlements de compte, de gestion catastrophique pendant que les femmes, disons les occupants de nos marchés, continuent de travailler sur des sites insalubres, mal entretenus, inappropriés pour une capitale, etc.
Les nouveaux patrons de l’EPAM avec le ministre en tête tels des conquistadors, se sont octroyés des avantages qui frisent l’indécence dans un secteur où les femmes sont régulièrement harcelés par les taxes et dans un pays où plusieurs jeunes sont frappés par le chômage. Après les municipales du 30 juin 2019, pour des raisons politiques, le pouvoir a refusé de confier la gestion de certains marchés de la ville de Lomé aux mairies, les gardant dans le giron de l’EPAM dont il a le contrôle. Il s’agit des marchés de Gbossimé, klikanmé, Hedranawoè, Agbadahonou, Abattoir, Adwlato (dans son ensemble), Attikpodji et Djidjénou. Les recettes de l’EPAM oscillent entre 110 à 114 millions de FCFA par mois. Avec un budget de 1 350 000 000 FCFA (1 milliard trois cent cinquante millions) pour une masse salariale de 18 000 000 (dix-huit million) FCFA pour un personnel composé de 120 individus. L’EPAM dépense 270 000 000 (deux cent soixante-dix millions) FCFA pour l’enlèvement des ordures dans les 8 marchés à sa charge. L EPAM est actionnaire de SOTRAL.
Tenez en analysant l’organigramme du tableau ci-dessus, on découvre l’ampleur de la gabegie qui règne à l’EPAM.
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Payadowa Boukpessi
Le ministre en charge de l’Administration territoriale d’alors, donc Payadowa Boukpessi est le PCA (Président du conseil d’administration). Il perçoit une dotation mensuel de 1 000 litres en carburant auprès de l’EPAM, ce qui équivaut à 700 000 FCFA par mois et donc de 8 400 000 (huit million quatre cent mille) FCFA par an. Il reçoit une prime annuelle de 1 200 000 (un million deux cent mille) FCFA, en raison de 300 000 FCFA par trimestre. L’EPAM met à sa disposition diverses boissons (vins, champagne, whisky, sucrerie, eau minérale, etc.), lui offre des billets d’avion pour ses déplacements. L’EPAM met également à la disposition du ministre un chauffeur et une assistante au rang de chef division avec tous les avantages afférents. L’EPAM tient deux sessions de son Conseil d’administration l’année pour le vote du budget et l’arrêt des comptes. Pour chaque session, le ministre perçoit 600 000 FCFA d’indemnités et 400 litres de carburant, soit 1 200 00 FCFA et 800 litres l’année. Il arrive souvent que le PCA demande des compléments de carburant à l’EPAM pour ses visites à l’intérieur du pays. En calculant tous ces avantages du PCA, on se fait une idée de ce que l’EPAM dépense chaque année pour le ministre en charge de l’Administration territoriale, ceci, indépendamment de son salaire, indemnités et avantages de ministre de la République. Et Payadowa Boukpessi s’en est servi durant 8 bonnes années.
Potcholi-Kadja Somialo
Prenons ensuite la Directrice générale de l’EPAM, Potcholi-Kadja Somialo, commissaire de police. Sa place en temps normal, c’est dans un Commissariat, mais elle est DG de l’EPAM et devenue commissaire divisionnaire en gérant les marchés. Elle préside également le bureau exécutif de la Mutuelle de la police togolaise (MUPOTO). La DG de l’EPAM perçoit 600 000 (six cent mille) FCFA d’indemnité de fonction par mois, 400 litres de carburant par mois (280 000 FCFA), 45 000 FCFA par mois en tant que présidente de la commission de passation des marchés publics, 45 000 FCFA par mois de crédit de communication Togocom, des boissons, des cartons d’eau minérale. Elle perçoit en plus 200 litres de carburant pour sa voiture de fonction Renault, achetée à 19 000 000 (Dix-neuf millions) FCFA à la Maison Renault. Elle reçoit en outre une prime annuelle de 1 000 000 FCFA (250 000 FCFA par trimestre, 4 fois dans l’année). Pour les réunions du conseil d’administration, elle s’octroie 300 000 FCFA deux fois dans l’année, donc 600 000 FCFA et deux fois 200 litres de carburant, soit 400 litres l’année. Elle dispose d’autres avantages par la proximité avec certains commerçants, surtout étrangers. La DG dispose d’un Conseiller qui cumule également indemnités, primes et avantages à voir dans le tableau.
Tchagbeleh Essotchénin
Le Directeur général adjoint, Tchagbeleh Essotchénin, en fonction depuis 9 ans, perçoit 500 000 FCFA par mois, 300 litres de carburant par mois, 22 500 FCFA de crédit de communication par mois, 35 000 FCFA par mois au titre de président de contrôle des passations des marchés public, 850 000 FCFA de prime annuelle versée en 4 tranches (par trimestre). Au Conseil d’administration, il touche 150 000 FCFA fois deux et 100 litres de carburant deux fois, des cartons d’eau minérale. Il ne dispose pas de voiture de fonction.
Koulouma Katchalibéma
L’Agent Comptable (DAF), Koulouma Katchalibéma, inspectrice du Trésor, amie de la DG depuis l’université. Elles ont habité la même villa. Elle est devenue sa plus grande complice dans la gabegie et les détournements à l’EPAM. Elle perçoit 300 000 FCFA d’indemnités de fonction par mois, 750 000 FCFA comme prime annuelle (versée en 4 tranches), 200 litres de carburant par mois, 18 000 FCFA de crédit de communication par mois, dispose d’une voiture de fonction Renault Duster, perçoit 150 000 FCFA deux fois et 100 litres deux fois également aux sessions du conseil d’administration.
Pour faire court, les lecteurs peuvent jeter un coup d’œil dans le tableau pour se faire une idée des autres postes et des avantages qui vont avec, notamment les chefs division, chefs section, les responsables des marchés, les collecteurs de taxes et les agents vigile.
Népotisme, Clientélisme, etc…
L’autre pan de cette gestion catastrophique, ce sont les nominations sur la base du népotisme, du clientélisme. Ainsi la DG a mis ses proches à la tête de la plupart des marchés. C’est le cas par exemple de la femme de son frère, Mme Barry, nommée à la tête du marché de Hedzranawoè, provoquant une levée de bouclier d’une partie du personnel. Plusieurs collecteurs de taxes ont été recrutés sur une base purement régionaliste. La plupart d’entre eux ne parlant pas mina/ewé, la langue d’usage des commerçants dans les marchés de Lomé, finissent souvent en accrochages avec ces derniers. Imaginez des collecteurs ne parlant ni Kabyè, Bassar, ou Moba déversés dans les marchés de Kara, Bassar ou Dapaong pour collecter des taxes. Payadowa Boukpessi et son réseau ont réussi cet exploit à Lomé, rendant difficile la communication entre la plupart des agents et les commerçants.
Madékiwè Poncri
Plusieurs responsables de l’EPAM sont accusés de favoriser les étrangers au détriment des nationaux dans l’attribution des places et boutiques et ceci, sur fond de corruption. Ce qui ne peut jamais se passer dans d’autres pays. Le chef division patrimoine, la division la plus juteuse de l’EPAM, M. PONCRI Madékiwè, est accusé d’arracher les boutiques et les places aux Togolais et les octroyer aux étrangers, moyennant ses propres commissions auprès de ces derniers. C’est par ces méthodes peu patriotiques que les étrangers sont devenus les propriétaires du grand marché d’Adawlato (Lomé), une situation qui ne se produirait dans aucun pays de la région. Nous avions dit plus haut que l’EPAM consacrait 270 millions FCFA par an pour les enlèvements des ordures dans les 8 marchés de Lomé. Une manne qui revient à certains individus qui ont monté des sociétés fictives, juste pour capter ces marchés.
Projets foireux
L’EPAM s’est lancé dans des projets foireux, parfois ridicules, à la limite scandaleuse comme construction d’une retenue d’eau au cœur du marché de Hedzranawoè. Personne n’a compris à ce jour celui qui a eu cette funeste idée de réaliser une retenue d’eau au cœur d’un marché alors que qu’il existe un canal d’évacuation d’eau sous le boulevard en face du marché qui déverse l’eau dans le bassin de Kegué après le contournement. Selon un spécialiste, il aurait juste fallu des travaux d’assainissement et un raccordement à l’exutoire du canal d’évacuation sous le boulevard pour régler le problème. Lorsque Mme AYELAGAN quittait ses fonctions fin 2018, elle a laissé derrière elle une trésorerie solide, notamment un DAT (dépôt à terme) de 500 millions de FCFA dans les livres de Orabank.
La DG actuelle s’est servi d’une grande partie de ces fonds pour acheter 10 lots à 350 millions derrière le campus et construit des hangars d’un coût total de 170 millions de francs CFA. Les femmes vendeuse de tomates du marché d’Abattoir ont refusé de rejoindre ce nouveau marché à Klikanmé, loin de leurs domiciles et de leurs clients. Conséquence, ce marché de Klikanmé qui a engloutie plus de 500 millions de FCFA, est vide, parce que, a priori, aucune étude sérieuse n’a été faite avant de décider d’implanter ce marché à cet endroit.
L’EPAM dépense 56 millions par an pour les bons de carburant. Ces dotations de carburant sont distribués par la DG comme des petits beignets à ses amis, ses proches, ses collègues de la police, notamment les supérieurs qui sont arrosées de cadeaux en fin d’années.
Pendant que l’EPAM est devenu un guichet automatique à l’excès pour plusieurs personnes, pendant que les premiers responsables s’achètent des véhicules personnels onéreux, acquièrent à tour de bras des terrains, construisent des appartements meublés dans les banlieues de Lomé ; les commerçants, surtout les femmes vendent dans des lieux malsains, insalubres, nauséeux, crasseux, sales, appelés pompeusement marchés.
A la moindre pluie, les marchés de Lomé ressemblent à des dépotoirs avec des rues boueuses. Il n y a aucune honte à copier le voisin qui fait mieux. Au Bénin à côté, en un seul mandat, le Président Patrice Talon a reconstruit avec une architecture moderne la plupart des marchés de Cotonou, les rendant digne d’une capitale et d’un pays tourné vers l’émergence. Au Togo en 2023 en pleine capitale, on en est encore à des hangars. Les commerçants dans nos marchés subissent la tyrannie, les brimades, les injustices des petits « Mussolini » de l’EPAM dont la plupart ignorent que leurs petites fortunes et réalisations proviennent en grande partie des taxes perçues dans ces marchés. Certains conservent d ailleurs les salaires de leurs départements d origine.
Lorsqu’on parcourt l’organigramme de l’EPAM, on constate avec stupéfaction que les commerçants, particulièrement les femmes qui sont les premiers acteurs des marchés, ne sont représentés nulle part. Dans une République normale, elles devraient en principe être à la tête de cette structure ou du moins en être membre afin de veiller sur leurs droits et ne pas permettre à des individus qui n’ont jamais mis un franc dans le commerce d’en faire n’importe quoi.
HAPLUCIA et Cie, Inutiles…ou…
Est-il normal dans une République que des individus s’asseyent dans un bureau pour s’octroyer autant d’avantages et de privilèges au sein d’une structure publique ? Que font réellement les organes de contrôle, les institutions de lutte contre la corruption, l’enrichissement illicite, et crimes assimilés ? Que font HAPLUCIA, la Cour des Comptes, les Inspections d’Etat et des Finances ( IGE et IGF).Comment des marchés de la ville de Lomé peuvent baigner dans l’insalubrité totale pendant que les responsables de l’EPAM se partagent autant d’argent entre copains et coquins ? Le nouveau ministre en charge de l’Administration territoriale a pris fonction depuis trois mois et il a commencé aussi à prendre sa part et va perpétuer sans doute le même système de prédation, mais dans les marchés, la colère des femmes monte contre cette mafia qu’il faut absolument démanteler.
Si ce pays est vraiment géré, toutes ces personnes qui prennent des libertés avec l’argent public doivent répondre devant un juge et justifier la provenance de leurs biens. Mais sous le magistère de Faure Gnassingbé depuis bientôt 20 ans, les prévaricateurs opèrent à visage découvert et narguent leurs dénonciateurs convaincus de l’impunité qui leur est garantie par le sommet de l’Etat lui-même.
Ferdinand Ayité / FB
Avec 27avril.com
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